Artiste militante, Marine BACHELOT NGUYEN est une autrice de théâtre qui n’hésite pas à parler des sujets qui fâchent. Etudiante en Lettres modernes et en Arts du spectacle, elle dispense des cours d’option Théâtre en lycée puis multiplie les projets en devenant dramaturge pour le théâtre de Folle pensée, tout en menant des recherches universitaires sur le théâtre politique. Elle fonde en 2004 la compagnie Lumière d’Août avec cinq autres auteurs. A mi-chemin entre le documentaire et la fiction, ses pérégrinations narratives nous transportent au sein de la communauté LGBT vietnamienne dans Des ombres et des lèvres, vers les tourments d’une mère chrétienne et d’un fils homosexuel dans Le fils, et plus récemment dans une cours de lycée après les attentats, où une jeune fille crée l’hystérie collective en posant un voile sur ses cheveux… Rencontre avec une artiste qui écrit du théâtre au présent.

1. Portrait de Marine BACHELOT NGUYEN, par Thierry LAPORTE.- 2018
Vous êtes une autrice qui n’hésite pas à mettre le doigt sur des thèmes qui questionnent profondément notre société contemporaine, quel rôle attribuez-vous à l’écrivain aujourd’hui ?
Il existe différents types d’écrivains. Mais il me semble que l’écrivain de théâtre et de littérature absorbe, digère, des questions traitées trop vite, il retranscrit la complexité de ces questions « polémiques » en les rendant humaines. Finalement, essayer de les traiter dans l’espace du théâtre permet de les voir autrement.
Beaucoup d’artistes traitent de sujets politiques, mais ne revendiquent pas prendre parti pour autant. On a plutôt tendance à entendre un discours qui parle de la nécessité de questionner le public. Est-ce que vous pensez que l’étiquette « d’artiste engagé » peut effrayer et pourquoi ?
Tout le monde se dit engagé. Personnellement je préfère parler de militantisme, d’artiste militant, dans la vie de tous les jours je milite pour diverses causes qu’il s’agisse du féminisme, de l’anti-racisme, de l’intersectionnalité ou du décolonialisme.
C’est une appellation qui vous semble plus concrète et représentative d’actions réellement menées ?
Oui exactement. Il y a peut-être aussi cette idée qu’il est plus valorisant d’être considéré comme un artiste avec un grand A, sans être rattaché à une revendication particulière, ce qui est assez contradictoire puisque la politisation ne dévalue pas l’art et n’amoindrit nullement son esthétisation. Au 20ème siècle par exemple, ce sont les idées politiques qui ont bousculé les mouvements esthétiques.
2. Teaser du spectacle La place du chien, écrit et mis en scène par Marine BACHELOT NGUYEN.- 05/2018.- Avec les acteurs et actrices Yoan CHARLES, Lamine DIARRA et Flora DIGUET.
Lors de votre résidence en avril dernier à la Mc2, scène nationale grenobloise, vous avez écrit une pièce qui s’intitule Akila – Le tissu d’Antigone. Une fois encore vous touchez une thématique pleinement actuelle en France, puisque la pièce parle d’une jeune lycéenne, Akila, qui dans un contexte post-attentat, a ce geste banal mais politiquement très fort : se couvrir la tête d’un foulard blanc. Cela a pour conséquence de créer l’hystérie au sein du système éducatif. Plus tard on apprend également qu’elle est la seule de sa famille à vouloir enterrer son frère qui était terroriste… Comment vous est venue l’idée d’aborder ce thème et de le transposer au mythe d’Antigone ?
Cela fait quelques années que je fréquente des sœurs musulmanes voilées et non voilées qui sont confrontées à l’exclusion. L’exclusion par le déni de leur engagement politique et féministe. Elles se retrouvent coincées entre une société française qui ne veut pas d’elles et une société musulmane traditionaliste. Une majeure partie du problème est liée à la vision de l’universalisme français qui ne laisse pas la possibilité de vivre autrement qu’à travers son propre modèle de représentation. Mais on s’aperçoit très vite que le sujet du foulard s’inscrit dans un cadre de loi d’exception. Sous prétexte d’émanciper ces femmes, on restreint malgré elles leur liberté d’être. Mais on n’émancipe personne contre elle-même. Si on veut émanciper les femmes, il faut leur donner accès au cours, leur laisser la possibilité d’interroger les choses, ne pas remettre de façon systématique leurs présences en cause. Quant à la transposition mythologique, ce que je trouvais intéressant chez Antigone, c’est la place de la sœur. Ce lien entre Antigone qui veut rendre les honneurs funéraires à son frère Polynice, et ces sœurs de victimes de crimes policiers qui prennent souvent en charge le combat pour rendre justice à leurs frères comme Ramata DIENG, Assa TRAORE, Aurélie la sœur de Théo… Plus largement beaucoup d’éléments sont venus au fur et à mesure réactiver le mythe de façon contemporaine. On le perçoit aussi avec l’exclusion de Polynice et le débat sur sa sépulture qui faisait également écho à ces maires, refusant d’enterrer les terroristes dans les cimetières de la ville dans un contexte post-attentat.
A un moment de la pièce, les véritables noms de victimes de crimes policiers s’insèrent dans une radio pirate. Jusqu’où avons-nous le droit d’introduire des éléments du réel dans la fiction ?
(Rires) Depuis le début j’ai cette question en tête, sur ce rapport réalité/fiction. Si on regarde la tragédie grecque, elle vient célébrer des grandes batailles mais aussi des éléments qui ont traumatisé la société. Il y a toujours un virage où je me demande si ce que je traite ne va pas choquer les gens mais ce choc est nécessaire. Le rôle du théâtre est de faire dialoguer des éléments du réel avec la fiction. Il faut parler de ce qu’il se passe, déplier, guérir, et saisir la complexité de ce qui nous entoure. Pour crever l’abcès à un moment aussi.

3. Photographie issue de la pièce Les Ombres et les lèvres, par Caroline ABLAIN.- 11/2016.- Photographie prise lors de la représentation de la pièce Les Ombres et les lèvres le 20/02/2016 au Théâtre National de Bretagne, écrite et mise en scène par Marine BACHELOT NGUYEN.
En tant qu’écrivaine, quelle est votre rapport à la langue dans vos textes ? Qu’il s’agisse du style d’écriture, du registre, ou de la forme. Est-ce qu’il change en fonction des thèmes et du public ciblé ?
Ma priorité est d’être claire, par soucis d’accessibilité. Ensuite les objets dramaturgiques vont faire que le style évolue. Par exemple, pour Akila, la langue est réaliste et quotidienne, ce qui va apporter une autre mesure au registre tragique qui est exploité dans la pièce. Le monologue permet de travailler un style plus littéraire. C’est le projet de forme qui va venir contaminer la langue.
Comment organisez-vous la structure d’une pièce ? Est-ce que vous procédez à une écriture de plateau progressive puisque vous êtes également metteuse en scène, ou est-ce que vous structurez la pièce grâce à un schéma narratif ?
J’essaie de lancer une construction. Je ne sais pas toujours comment l’histoire va finir. Je tente d’établir un plan et de voir le texte avec l’équipe, tester ce qui marche, ce qui ne marche pas, et je m’enrichis des retours. Ça dépend des pièces finalement. Mais je travaille de plus en plus avec les interprètes.
Quel est l’apport qu’offre la forme théâtrale à votre procédé d’écriture ?
Pourquoi le théâtre en quelque sorte ? (Rires) Au théâtre on peut jouer avec toutes les instances littéraires possibles comme la poésie ou d’autres formes littéraires. On peut inventer beaucoup de choses. Ce que j’aime, c’est la construction, on essaie de cheminer de la clarté et de l’espoir critique. Je tends à construire du possible politique.
La dernière question est un clin d’œil au titre du webzinePausArt. Quelle est votre pause artistique à vous ?
Alors je ne vais pas au théâtre pour me détendre ! J’apprends, j’analyse les procédés dramaturgiques, et parfois je m’énerve et ne me détends absolument pas (rire). Ma pause artistique c’est lorsque je vais voir de la danse ou du cirque. Dans le langage du corps je lâche plus prise. Au cinéma aussi, je me laisse aller.
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